Leemos poesía francesa a partir del panorama que diseña Audomaro Hidalgo. Nos acerca en esta oportunidad al trabajo de Laurent Albarracin (Angers, 1970). En 1995 se instala en Limousin. Autor de una treintena de libros, escribe sobre todo poemas y crítica. En 2009 funda el sello Le Cadran ligné, que publica principalmente poesía. Desde 2017 coordina en línea, con Pierre Vinclair y Guillaume Condello, la revista de creación «Catastrophes». Los siguientes poemas fueron tomados de Le Grand chosier (le corridor bleu, 2015), libro que recoge una buena muestra de su trabajo poético.
Grappin d´abordage
Que faire d’un grappin d’abordage qu’on vous tend ?
Pourquoi vous tend-on un grappin d’abordage, d’abord ?
Que voulez-vous que je fasse d’un grappin d’abordage ?
Est-ce un piège ?
Est-ce un abordage ?
C’est d’abord incongru, un grappin.
C’est un grappin d’incongru, avant que d’être d’abordage.
Qu’est-ce donc qu’un grappin d’abordage ?
Mais je dois sûrement le lancer, ce grappin d’abordage.
On ne garde pas comme ça un grappin par devers soi, d’abordage ou pas d’abordage.
Le lancer vers quoi ?
Le lancer pour quoi ?
Y a-t-il ici quelque île improbable et mouvante à fixer de mon grappin d’abordage ?
Lancer ce grappin ? moi qui ne suis pas pirate ni marin.
Moi qui n’aime rien tant que mon fauteuil et rêvasser.
Rien tant que tripoter un objet poétique, comme ce grappin d’abordage.
Car au contraire : gardons-le, ce grappin.
Observons-le au travers de ses barreaux.
Prenons-le comme grille pour le lire.
Regardons voir de quoi il retourne.
Agrippons-nous à lui comme à une bouée pour les profondeurs.
Faisons ces ronds dans l’eau avec, qu’on nous réclame.
En quoi s’interroge-t-il, ce grappin ?
Parce qu’on peut en effet déjà remarquer qu’il s’interroge.
Que le recourbement de ses pattes ou dents imite le point d’interrogation.
Un point d’interrogation à quatre branches typographiques, en quelque sorte.
Une fleur d’interrogation en fer.
Si le fer s’ouvre quelque part, n’est-ce pas en un grappin ?
Si la tenue, la crispation générale du fer lâche un peu, c’est bien dans le bref moment du grappin. Car le fer ne s’ouvre que pour se refermer.
Le fer n’est élancé que pour s’enfoncer dans la chair ou le bois.
Le délié du fer dans le grappin vise à saisir fermement.
Ne l’oublions pas.
Le relâchement du grappin a ses limites.
Le grappin a vite fait de se retrouver grappin.
Son sourire lui découvre aussitôt les crocs.
Il a faim de tout, le grappin, et spécialement du tout-venant.
Ramasse tout ce qui passe.
S’il passe la rampe, alors il s’y maintient.
Qu’accroche-t-il de lui-même ?
Y a-t-il un en soi du grappin ?
Mais continuons avec les ressemblances.
Un poulpe métallique ?
Une méduse en fer forgé ?
Une patère à bateaux ?
Un panier de crabes sans crabe ?
Un panier de crabes sans autre crabe que le crabe acéré du panier ?
Un début de cage ?
Un germe de cachot ?
Notons que le grappin n’est pas grand.
Il est même enclin à être petit.
Il est courtaud et râblé alors que tout de même quatre ou cinq branches s’étendent de lui.
Il est resserré, rassemblé, dur, implacable et mordant.
Voilà une chose, je crois : le grappin est un mixte de la main et de la mâchoire.
De la pince et du sabre, du crabe et du panier.
Souple par-dessus bord, libre en vol au-dessus de l’eau, mais inflexible une fois planté.
Le grappin se raidit au bastingage.
Lui qui était la détente et l’élan, le voici qui durcit d’un seul coup comme une crampe du navire. Comme un raidissement survenu dans le flanc du navire.
Raidissement qu’il est et qu’il figure avec un grand calme.
Le grappin est une crispation portée à la sérénité.
Il est le signe et le siège du grappin en tant que grappin mis sur l’objet convoité.
N’a-t-il pas l’indolence des fauves ?
N’a-t-il pas l’assurance et l’impassibilité du désir ardent ?
C’est ironiquement qu’il pend au bout de sa corde.
Le grappin est un pendu qui dort.
(S’en méfier comme d’une eau.)
Il ressemble à l’araignée au bout de son fil.
Là où le grappin se fiche, il est l’araignée au centre de sa toile.
Sa toile, sa prise s’étend autour de lui en ondes concentriques.
Et revoilà nos ronds dans l’eau.
Ronds dans l’eau qui sont toute la poésie.
Rien n’est moins inutile que de faire des ronds dans l’eau.
Puisque c’est jeter avec une agilité folle des cailloux au centre exact de la cible.
Puisque c’est vérifier que le monde se déploie impeccablement autour de notre vaine tentative de l’atteindre.
Que nous l’atteignons au centre de la cible mais trop tôt, quand la cible n’y est pas encore.
Que quand la cible se déploie, alors le caillou n’y est plus.
Que la cible dessine sur l’eau autant l’atteinte que le ratage.
Que les cernes ondulant sur l’eau sont la fatigue du monde.
Et l’ancre qui plonge dans l’eau en revient ruisselante.
Le grappin qui tombe à l’eau en ressort plus avide et à vif.
C’est cela qui est merveilleux.
Le grappin rentré bredouille repart aussi sec et humide.
C’est la chasse qui importe, non la prise.
La manœuvre, non la conquête.
Le grappin est une arme de collision.
Une arme de conduction, non pas de destruction.
Au fond le grappin travaille au rapprochement des navires.
Son idéal de solidarité n’est guère contestable.
Il y a même une certaine convivialité dans le grappin.
Des agapes et du festin, de la grappe et du raisin.
«Grappin d’abordage» ne dirait-on pas le nom d’une recette ?
Un plat cuisiné, exotique et canaille.
Passé au four avec la crème des marins.
Quel objet est donc le grappin ?
Un essaim de clefs ?
Un régime de lames ?
Un lustre de couteaux ?
J’en ferais bien un abat-jour pour mon fauteuil de lecture.
Ou un porte-chapeaux pour Marcel Duchamp.
(À la manière de Jean-Claude Biraben.)
Mais le grappin plein de crochets ne porte que lui.
C’est pour ça qu’il est maigre.
N’a que les eaux sur les os.
Il n’a que ses crochets à montrer, comme une œuvre faite de cimaises.
L’ancre n’est rien d’autre qu’un seau percé, finalement.
Un seau extrêmement percé, je vous l’accorde, ajouré comme jamais encore chez un seau.
Mais un seau tout de même, qui se puise au fond de l’eau et en ressort épuisé.
Notre grappin d’abordage vaut pour ce qu’il n’attrape rien.
Je cherche quelle est la proie intérieure du grappin.
Je cherche en quoi le grappin ronge le grappin et le taraude.
En quoi le grappin relance sans cesse le grappin.
Et pourtant il est conçu pour ne pas revenir une fois lancé.
Pour se cramponner aux lointains.
C’est une sorte d’anti-boomerang.
Ou pour revenir, mais accompagné.
De rien moins qu’un navire.
On prend souvent les choses par mégarde.
On veut jeter les gants et c’est là qu’on met l’adversaire k.o.
Déposer les armes aux pieds d’Achille et c’est là qu’on l’abat.
On jette la ferraille à la mer et on ferre un gros poisson.
Il n’y a que le merveilleux pour mordre à l’hameçon du geste désespéré.
Et tant pis si la merveille finit par s’écouler d’entre les doigts.
La finesse du sable résulte de nos échouages.
Le grappin est le peigne de l’inatteignable.
Les îles sont des cristallisations de nos rêves d’abordage.
L’île n’est île que comme de l’englouti qui a surgi.
L’île est le refuge de ce qui cerné s’évade encore.
Et l’île est pour toujours le havre du caché.
Gancho de abordaje
¿Qué hacer con un gancho de abordaje que se le ofrece?
Para empezar, ¿por qué se le ofrece un gancho de abordaje?
¿Qué quiere que haga con un gancho de abordaje?
¿Es una trampa?
¿Es un abordaje?
Para empezar, un gancho es incongruente.
Es un gancho de incongruencia antes de ser de abordaje.
¿Qué es entonces un gancho de abordaje?
Pero seguramente debo lanzar este gancho de abordaje.
No se guarda para sí un gancho, de abordaje o no.
¿Contra qué lanzarlo?
¿Por qué lanzarlo?
¿Hay alguna isla improbable y movediza que fijar con mi gancho de abordaje?
¿Lanzar este gancho? Yo que no soy pirata ni marino.
A mí que no me gusta sino mi sillón y soñar despierto.
Nada como manipular un objeto poético, como este gancho de abordaje.
Porque al contrario: guardemos este gancho de abordaje.
Observémoslo a través de sus barras.
Tomémoslo como rejilla para leerlo.
Veamos de qué se trata.
Agarrémonos a él como a una boya para las profundidades.
Hagamos con él esos círculos que nos reclaman en el agua.
¿Cuál es la pregunta que se hace este gancho?
Porque, en efecto, se puede observar que se interroga.
La curvatura de sus patas o dientes imita el signo de interrogación.
De alguna manera, un signo de interrogación de cuatro ramas tipográficas.
Una flor de interrogación de hierro.
Si el hierro se abre en algún lado, ¿acaso no es en un gancho?
Si el atuendo, la crispación general del hierro cede un poco, es en el breve momento del gancho.
Porque el hierro no se abre sino para volver a cerrarse.
El hierro no es estilizado sino para clavarse en la carne o la madera.
El paso del hierro al gancho busca agarrar con fuerza.
No lo olvidemos.
El relajamiento del hierro tiene sus límites.
El gancho se engancha rápidamente.
Su sonrisa le descubre enseguida los colmillos.
El gancho tiene hambre de todo, especialmente de lo banal.
Recoge todo lo que pasa.
Si pasa el barandal entonces se mantiene.
¿Qué engancha de sí mismo?
¿Hay un gancho en sí mismo?
Pero continuemos con las semejanzas.
¿Un pulpo metálico?
¿Una medusa de hierro forjado?
¿Un perchero para barcos?
¿Un cesto de cangrejos sin cangrejo?
¿Un cesto de cangrejos sin más cangrejo que el cangrejo acerado del cesto?
¿Un comienzo de jaula?
¿Un germen de calabozo?
Observemos que el gancho no es grande.
Incluso tiene inclinación a ser pequeño.
Es enano y regordete, cuatro o cinco brazos se extienden de él.
Es intenso, concentrado, duro, implacable y mordaz.
He aquí una cosa: el gancho es una mezcla entre mano y mandíbula.
Pinza y sable, cangrejo y cesto.
Flexible al aire libre, en libertad de vuelo sobre el agua, pero inflexible una vez plantado.
El gancho se endurece en la borda.
Él que era relajación e impulso ahora endurece de un golpe como un calambre de barco.
Como un endurecimiento ocurrido en el costado del barco.
Él es endurecimiento y se presenta con gran calma.
El gancho es una crispación llevada a la serenidad.
Es el signo y el asiento del gancho en tanto que gancho puesto sobre el objeto deseado.
¿No tiene la indolencia de las fieras?
¿No tiene la seguridad y la impasibilidad del deseo ardiente?
Es irónico que cuelgue de su cuerda.
El gancho es un colgado que duerme.
(Desconfiar de él como del agua)
Se parece a la araña al fondo de su tela.
Ahí donde no le importa, el gancho es la araña en el centro de su tela.
Su tela, su agarre, se extiende en torno a él en ondas concéntricas.
Y de nuevo nuestros círculos en el agua.
Círculos en el agua que son toda la poesía.
Nada es más inútil que hacer círculos en el agua.
Puesto que es arrojar piedras con una agilidad loca al objetivo.
Verificar que el mundo se despliega impecablemente alrededor
de nuestra vana tentativa de alcanzarlo.
Que alcanzamos nuestro objetivo pero demasiado pronto, cuando aún no está ahí.
Que cuando el objetivo se despliega, la piedra ya no está ahí.
Que el objetivo dibuja en el agua tanto el daño como el fallo.
Que los anillos que ondulan en el agua son el cansancio del mundo.
Y el ancla que se hunde en el agua regresa chorreando.
El gancho que cae al agua sale más ávido y vivo.
Eso es lo maravilloso.
El gancho que regresa con las manos vacías vuelve a irse seco y húmedo.
Es la caza lo que importa, no lo obtenido.
La mano de obra, no la conquista.
El gancho es un arma de colisión.
Un arma de conducción, no de destrucción.
El gancho trabaja en el acercamiento de los barcos.
Su ideal de solidaridad no es cuestionable.
Incluso hay una cierta amabilidad en el gancho.
Festín y banquete, uva y racimo.
«Gancho de abordaje», ¿no suena a nombre de receta?
Un plato cocinado, exótico y picarón.
Horneado con crema de marineros.
¿Qué cosa es entonces un gancho?
¿Un enjambre de llaves?
¿Una dieta de láminas?
¿Un candelabro de cuchillos?
Haría con él una lámpara para mi sillón de lectura.
O un perchero para Marcel Duchamp.
(A la manera de Jean-Claude Biraben)
Pero el gancho lleno de garfios se limita a él.
Por eso es delgado.
Solo tiene agua en sus huesos.
Solo tiene sus garfios para mostrar, como una obra hecha de cimacios.
Al final, el ancla no es sino una cubeta perforada.
Lo admito, una cubeta profundamente perforada, calada como nunca lo fue una cubeta.
Una cubeta que se extrae del fondo del agua y sale agotada.
Nuestro gancho de abordaje vale por lo que no atrapa.
Busco cuál es la presa interior del gancho.
Busco cómo el gancho roe el gancho y el agarre.
Cómo el gancho recupera sin cesar el gancho.
Y sin embargo está hecho para no volver una vez lanzado.
Para aferrarse en lo lejano.
Es una especie de anti-boomerang.
O para regresar pero acompañado.
Nada menos que con un barco.
Con frecuencia tomamos las cosas como cortesía.
Queremos colgar los guantes y es entonces cuando vencemos por k.o. al contrincante.
Deponer las armas a los pies de Aquiles y es ahí que lo abatimos.
Tiramos la chatarra al mar y capturamos un pez enorme.
No existe sino lo maravilloso para morder el anzuelo del gesto desesperado.
Y si la maravilla termina por escurrirse de entre las manos, ni modo.
La fineza de la arena se obtiene de nuestros fracasos.
El gancho es el peine de lo inalcanzable.
Las islas son cristalizaciones de nuestros sueños de abordaje.
La isla no es isla sino el hundimiento que ha surgido.
La isla es el refugio de lo que rodeado aún se escapa.
Y la isla es por siempre el remanso de lo escondido.
Le miel
Le miel Le malheur du miel lui vient d’être trop prometteur. Il est visuellement tout entier félicité, tout entier pleine adhésion à lui-même. Mais à force d’être ainsi moulé à sa forme, d’être en mélange avec son apparence, il n’est plus que tromperie. Ne faisant qu’un avec son aspect, il n’est qu’illusion. Sa ductilité le condamne. Il coule comme du jus de lanterne. Sa fausseté provient en effet de sa trop grande univocité onctueuse. Il est trop richement lui-même pour être honnête. De même qu’il est trop chichement autre chose que lui-même pour être vraiment soi. Sa surface est trop intimement mêlée à sa profondeur, lorsqu’on l’éprouve de la cuiller dans le pot, pour ne pas résulter d’une fourbe machination. Une telle unicité de comportement sous la manipulation ne peut venir que d’une duplicité supérieure. On n’a jamais vu pareille tresse faite d’un seul brin, que je sache. Sa netteté d’apparence est louche. Être si peu trouble, est-ce possible ? D’ailleurs le miel est doux, mais son goût ne l’est pas. On dirait un tank de fleurs qui passe dans la gorge. En vérité ce sombre éclat cache une râpe mielleuse, une âpreté dans des rubans. Et cette facilité à couler, c’est surtout propension à coller. Le miel est de la poix sucrée. De la poisse de miel.
La miel
La desgracia de la miel le viene de ser demasiado prometedora. Visualmente es toda felicidad, adhesión completa a sí misma. Pero a fuerza de ser así, moldeada a su forma, de estar mezclada con su apariencia, no es más que una farsa. Uniéndose con su aspecto, no es más que ilusión. Su ductilidad la condena. Se vierte como zumo de luz. En efecto, su falsedad proviene de su gran univocidad untuosa. Es demasiado rica para ser honesta, demasiado tacaña para ser en verdad ella misma. Cuando se la prueba con la cuchara en el frasco, para no dar lugar a una maquinación engañosa, su superficie está íntimamente ligada a su profundidad. Semejante unicidad no puede provenir sino de una duplicidad superior. Que yo sepa, nunca se ha visto una trenza así, hecha de una sola hebra. Su apariencia clara es sospechosa. ¿Es posible ser tan poco turbia? Además, la miel es suave, pero su sabor no lo es. Es como un tanque de flores que pasa por la garganta. En realidad, ese brillo sombrío esconde un rallador empalagoso, una aspereza de cintas. Y esa facilidad para derramarse es sobre todo inclinación a pegarse. La miel es brea azucarada, dulce mala suerte.
Le sel
Le sel est l’esprit. Il est la justice rendue par la justesse. Il est la mesure à même la chose, la balance dans le poids. Le sel disparaît lorsqu’il est dans la bonne quantité. Il est caché quand il est présent, découvert quand absent. Son manque alors est son appel, sa suscitation. Car l’absence du sel est un autre sel, qui l’éveille et le sale, l’affûte en sa salière là-bas. En excès il gâte, recouvre, enterre sous quelques grammes qui sont des kilos. Mais le plus souvent, le sel ne fait pas défaut ni n’excède. Il est juste et bon. Il a alors l’éclat du peu, le coupant du tempéré. Il distingue invisiblement ce qu’il sale. C’est de la poudre d’épée que le sel, du gravier philosophal dans l’allée du plat. Ce sont des grains d’ascension, des degrés de montée chue et enfouie dans le sol, des pépites de rien. On ne le trouve qu’en le cherchant indéfiniment, qu’en ne le trouvant pas avec avidité. Le sel n’est le sel que dans la soif. À l’état de sel il n’existe pas : il brille, blesse, coupe, brûle, mais n’existe pas.
La sal
La sal es el espíritu. Es la justicia impartida con justeza. Es incluso la medida de la cosa, la balanza en el peso. La sal desaparece cuando está en la cantidad correcta. Escondida cuando está presente, descubierta cuando falta. Su ausencia es entonces su llamada, su provocación. Porque la ausencia de la sal es otra sal, que la despierta y la sala, la acecha en su salero. En exceso mina, recubre, entierra bajo algunos gramos que son kilos. Pero por lo general la sal no falta ni excede. Es justa y buena. Tiene el brillo de lo poco, lo cortante de lo moderado. Distingue invisiblemente lo que ensucia. La sal es polvo de espada, arenilla filosofal en el plato. Son granos de ascensión, grados de subida pero enterrada en el suelo, pepitas de nada. No se la encuentra sino buscándola indefinidamente, no encontrándola sino con avidez. La sal no es sal sino en la sed. En estado de sal no existe: brilla, hiere, corta, quema, pero no existe.