Poesía francesa: Sophie Martin

Leemos poesía francesa actual en el panorama que construye Audomaro Hidalgo. Leemos a Sophie Martin (Lyon, 1987). Vive y trabaja en París. Es archivista y paleógrafa. Escribió una tesis de la correspondencia entre Jean Paulhan y Marcel Arland. Ha publicado la novela La Fille de l´air (Mercure de France, 2013), así como dos textos cortos en prosa: L’Eau y Pour en finir avec la femme coupée en morceaux (éditions des Petites Allées). Ha escrito crónicas para la revista “La ronde”. Los siguientes poemas pertenecen al libro Classés sans suite (Flammarion, 2020).

 

 

 

 

Le sphinx

 

Comme j’avais posé mon menton sur son genou
Tenant ses jambes repliées entre mes bras
Que j’étais nue comme lui et que je le regardais tranquillement
Il me dit : Tu es le sphinx, et je ris
N’étant pas le sphinx, ni mystérieuse, répondis-je
Tout ce qui passe dans mon esprit passe sur ma figure
Je ne propose pas d’énigme à ceux que je rencontre

 
Mais le sphinx, me dit-il, ne propose pas d’énigme
Il bricole le matin sa petite devinette
Pour engager la conversation
Pour éviter de parler dans le désert
De la pluie, du beau temps
Par fatigue de demander l’heure
Il est bien ennuyé que personne ne trouve
L’homme, l’homme, d’habitude ils n’ont que ça à la bouche
Il aurait dû penser qu’on trouve beaucoup de choses
Lointaines et difficiles
Avant de se trouver soi-même

 
Tu es le sphinx, tu as des yeux qui posent une question
Et comme je baissais les yeux puis le regardais encore, il me dit
Répète, articule mieux, je n’ai pas bien compris
Et je riais, embarrassée par cette mythologie
Moi je voulais simplement lui demander pourquoi il n’avait pas joui
C’est difficile de parler de sexe depuis que la morale exige qu’on en parle librement
Je ne peus rien dire
Fermai les yeux
Quelle fatigue
Va pour le sphinx
Le premier soir
Quand nous dînions
À La Gentiane
Rue Stanislas
Tu me dis : Je vous offre des fleurs
En me tendant la carte du restaurant
Où sont imprimées des fleurs
Jaunes, qui sont du poison
J’avais beau me dire
N’étant pas jeune comme toi
N’étant pas vieille non plus
Une telle joie
Quand il faudra régler la note
Je riais
Sans songer que ce serait notre programme
Mots et papier

 
De longues conversations
Des livres dans la boîte aux lettres
Quelques semaines puis quelques mois
Je ne protestais pas
Les mots durent mieux que les baisers dans la mémoire
Quoique les baisers valent mieux
Au jeu où je gagnais
De combler le peu d’air entre nous

 
Je n’ai pas laissé ma colère
Partir en petites coupures
De protestation
Et un jour je n’ai plus donné de nouvelles

 
C’est un corps que je cherche
Pour les mots et le papier je me débrouille toujours
L’addition, je vous prie
Adieu, toi qui disais
Que tu m’offrais des fleurs et m’offrais des fleurs
De papier, homme de parole – n’est-ce pas
Et de papier

 

 

 

 

 

La Esfinge

 

Mientras apoyaba mi mentón en su rodilla
Sosteniendo sus piernas dobladas entre mis brazos,
Mientras estaba desnuda como él y lo miraba en silencio
Me dijo: Eres la Esfinge, y reí
No soy la Esfinge ni misteriosa, respondí
Todo lo que sucede en mi mente se ve en mi cara
Yo no propongo enigma a los que conozco

 
Pero la Esfinge, me dijo, no propone enigma
Compone su pequeña adivinanza por la mañana
Para iniciar la conversación
Para evitar hablar en el desierto
De la lluvia, del buen tiempo
Por cansancio de preguntar la hora
Le molesta no encontrar a nadie
El hombre, el hombre, por lo general sólo tienen eso en la boca
Debería haber pensado que encontramos muchas cosas
Lejanas y difíciles
Antes de encontrarse a uno mismo

 
Tú eres la Esfinge, tienes una mirada que interroga
Y mientras miraba más hacia abajo me dijo
Repite, articula mejor, no entendí
Y me reía molesta por esta mitología
Yo sólo quería preguntarle por qué no había terminado
Es difícil hablar de sexo desde que la moral exige que se hable libremente
No pude decir nada
Cerré los ojos
Qué cansancio
Ve por la Esfinge

 
La primera noche
Mientras cenábamos
En «La Gentiane»
Calle Stanislas
Me dijiste: le regalo unas flores
Extendiéndome la carta del restaurante
En donde estaban impresas flores
Amarillas, que son veneno
Por más que yo pensaba
No soy joven como tú
Tampoco soy muy vieja
Que alegría
Cuando haya que pagar la cuenta
Me reí
Sin pensar que sería nuestro programa
Palabras y papel

 
Largas conversaciones
Libros en el buzón
Algunas semanas luego algunos meses
Yo no protestaba
Las palabras duran más que los besos en la memoria
Aunque los besos son mejores
En el juego en el que ganaba
De llenar el poco aire entre nosotros

 
No dejé que mi ira
Se fuera en pequeños cortes
De protesta
Y un día no di más noticias

 
Es un cuerpo lo que busco
Con las palabras y el papel siempre me las arreglo
La cuenta, por favor
Adiós, tú que decías
Traerme flores y me regalabas flores
De papel, hombre de palabra ¿no es cierto?
Y de papel

 

 

 

 

 

 

La prière des filles perdues

 
Seigneur Jésus, qui avez été souvent favorable aux putes
Même à celles qui couchent par plaisir ou par ennui
Vous qui faites que les pierres sont lourdes au bout des bras des pharisiens
Desquels elles tombent, mortes comme eux
Et à la femme adultère quand vous lui dites de ne pas recommencer vous n’avez pas l’air très convaincu

 
Vous qui avez traîné à vos basques des femmes dévoyées
Vous qui préférez les fenêtres aux murs
Même les rideaux vous agaçaient
Et aux femmes affairées les rêveuses
Celles qui ouvrent des yeux vagues à celles dont les gestes sont exacts
À Marthe Marie
Celles qui cassent les flacons de parfum à celles qui les font durer vingt ans parce que c’est un parfum cher
Vous qui disiez Lâchez tout, partez sur les routes
Comme plus tard André Breton qu’on mit dans une pléiade c’est bien fait mais vous on a beau faire votre tombeau est vide

 
Seigneur Jésus, faites sortir dans la rue celui que j’aime et qui reste chez lui
Il est casé ce n’est pas de ma faute
D’abord je ne le savais pas, vous le savez, ensuite je n’ai pas voulu le savoir
Et c’était trop tard quand on veut faire l’amour avec quelqu’un on ne peut pas cesser aussitôt d’en avoir envie
Faites qu’il vienne chez moi Je vous promets que chez moi c’est ouvert aux quatre vents
Je suis faite de tant d’hésitations que je ne pourrai pas le retenir
Et je vous le rendrai bientôt, en pleurant
Il rentrera chez lui
Demain mais aujourd’hui
Faites qu’il vienne à moi et qu’il me sourie
Je m’occupe du reste
Amen, amen

 

 

 

 

La oración de las chicas perdidas

 
Señor Jesús, que has sido a menudo favorable a las putas
Incluso con las que se acuestan por placer o por aburrimiento
Tú que haces que las piedras sean pesadas en los brazos de los fariseos
De los que caen muertas como ellos
Y que dices a la adúltera que no vuelva a hacerlo sin estar muy convencido

 
Tú que has arrastrado a tus espaldas mujeres descarriadas
Tú que prefieres las ventanas a los muros
Hasta las cortinas te fastidiaban
Y a las mujeres de negocio las soñadoras
Las que abren los ojos a las que hacen lo correcto
A Marta Maria
Las que rompen el frasco de perfume a las que les dura veinte años porque es un perfume caro
Tú que decías: dejen todo, tomen carretera
Como más tarde André Breton que pusimos en una pléyade está bien pero
no importa lo que hagamos tu tumba está vacía

 
Señor Jesús, haz que salga a la calle el que amo y que sigue en casa
Está destrozado no es culpa mía
Al principio lo ignoraba, tú lo sabes, luego no quise saberlo
Y era demasiado tarde cuando se quiere hacer el amor con alguien no se puede
dejar de hacerlo
Haz que venga a mi casa
Te prometo que mi casa está abierta a los cuatro vientos
Dudo tanto que no podría retenerlo
Y pronto te lo devolveré, llorando
Regresará a su casa
Mañana pero hoy
Haz que venga a mí y me sonría
Yo me ocupo de lo demás
Amen, amen

 

 

 

 

LES MORTES

 

Les statues

 

Femmes de marbre
Qui dormez sur le dos
Vous vous êtes coiffées
Par discipline
Votre profil est dur
L’air ne s’en approche pas
Le vide ne vous fait pas horreur
À la pliure des bras
Ni dans vos paumes ouvertes
Vous n’avez besoin de personne
Ce sont les amoureuses
Qui dorment à plat ventre
Vous n’avez besoin de personne
Ce sont les amoureuses…
Ô reines

 
Qui trouve la mort enviable
Tombera à genoux
Moi qui vous plains
Je mets pour rien
Un peu de salive sur vos lèvres

 

 

 

 

LAS MUERTAS

 

 

Las estatuas

 
Mujeres de mármol
Que duermen boca arriba
Están peinadas
Con disciplina
Sus perfiles son duros
El aire no se acerca
No temen al vacío
En sus brazos
En sus palmas abiertas
No necesitan a nadie
Son las amorosas
Que duermen boca abajo
No necesitan a nadie
¡Oh reinas!

 
Quien encuentre la muerte envidiable
Caerá de rodillas
Yo que les compadezco
Pongo un poco de saliva en sus labios

 

 

 

 

 

 
La première étrangère
Avait des yeux de pierre verte
Élisabeth Orgiazzi
C’était ma mère
Elle ne me toucha pas
Ce fut mon père
Qui me coiffait

 
La deuxième étrangère
Avait des yeux de pierre bleue
Nadège Semionovsky
Deux rubans rouges de cheveux teints
Ouvrent sur son visage blême
Je fus surprise quand j’atteignis
L’an dernier vingt-sept ans son grand âge
C’était ma professeure de français
Sérieuse et parfois sardonique
Nous ne sommes pas au couvent des oiseaux
Disait-elle, et nous emmenait voir des pièces scandaleuses
Trois mois de classe
Tout un automne
Puis elle partit, enceinte, dans le Jura

 
La troisième étrangère
Avait des yeux de pierre grise
Claire Engelbach
Mince, militaire, front haut, nez droit – beau masque
De fer, dos de trois quarts, penchée à son travail dans un bureau bleu
Au seuil duquel je m’arrêtais, n’osant l’appeler
C’était ma directrice
À la bibliothèque de l’université de Brest
Que j’ai quittée

 

 

 

 

 

La primera extranjera
Tenía ojos de piedra verde
Élisabeth Orgiazzi
Era mi madre
Ella no me tocó
Fue mi padre
Que me peinaba

 
La segunda extranjera
Tenía ojos de piedra azul
Nadège Semionovsky
Dos cintas rojas de cabellos teñidos
Se abren en su pálido rostro
Me sorprendió cuando cumplí
Su edad el año pasado veintisiete
Era mi profesora de francés
Seria y a veces sardónica
No estamos en el convento de los pájaros
Decía y nos llevaba a ver piezas escandalosas
Tres meses de clases
Todo un otoño
Luego se fue, embarazada, al Jura

 
La tercera extranjera
Tenía ojos de piedra gris
Claire Engelbach
Delgada, militar, frente amplia, nariz recta-bella máscara
De hierro, espalda mediana, entregada a su trabajo en una oficina azul
En cuyo umbral me detenía sin atreverme a llamarla
Era mi directora
En la biblioteca de la Universidad de Brest
Que abandoné

 

 

 

 

 

Casse les pierres, bagnard à vie
Divise-les en d’autres pierres
Réduire n’est pas comprendre
Il n’y a rien à comprendre, au fait
Disent-elles, chacune en son silence,
Le soleil est vrai, ton travail est faux
On le mesure à son ombre
Le soleil est juste et ta vie faussée
Tourne à vide
Pas d’engrenage, d’elle au soleil
Taille les pierres au pied des sphinges
Taille les pierres, travaux forcés
On en fera des tas de pierres
On n’en fera pas de maison

 
Chaque fois que je suis née l’une était là
Quand je suis née à la lumière
Quand je suis née à la conscience
Quand je suis née au travail
Trois fois l’une était là et m’a serrée entre ses bras durs et brisés
Elles bercent si bien, comme on fracasse

 
Mais à présent je voudrais
Qu’une vienne et soit familière
Qu’elle ait des yeux bruns
Chauds et mobiles
Avec du blanc autour, et non des yeux de bête
Et prenne ma main
Avant que j’aie fait un geste

 

 

 

 

 

Rompe las piedras, convicto de por vida
Divídelas en otras piedras
Reducir no es comprender
Por cierto no hay nada que comprender
Dicen ellas cada una en su silencio
El sol es verdadero; tu trabajo, falso
Se le mide por su sombra
El sol es justo y tu vida falsa
Se vuelve vacía
Sin engranaje, de ella al sol
Talla las piedras al pie de las esfinges
Talla las piedras, los trabajos forzados
Se harán montones de piedra
No se harán casas con ellas

 
Cada vez que nací una estaba allí
Cuando nací a la luz
Cuando nací a la consciencia
Cuando nací al trabajo
Tres veces una estuvo allí y me tomó entre sus brazos duros y rotos
Mecen tan bien como se rompen

 
Pero ahora quisiera
Que una viniera y sea buena
Que tenga ojos marrones
Cálidos y vivaces
Con blanco alrededor y no ojos de bestia
Y tome mi mano
Antes de que haga un gesto

 

 

 

 

 

Ayez des joies énigmatiques
Le monde s’y cassera la tête
Le nez, les dents
Très bien

 
Elles seront mortes sans y croire
Pas une crevasse à leur sourire
Elles seront mortes sans histoires
Puis

 
Comme des saintes dans la terre
Elles gardent leur corps dans la mémoire
Intact

 
Elles qui furent
Blanches et dures
Comme de l’effroi

 

 

 

 

 
Tengan alegrías enigmáticas
El mundo se romperá la cabeza
La nariz los dientes
Muy bien

 
Estarán muertas sin creerlo
Ni una grieta en sus sonrisas
Morirán sin historia
Luego

 
Como santas en la tierra
Mantendrán sus cuerpos en la memoria
Intactos

 
Ellas que fueron
Blancas y duras
Como el espanto

 

 

 

 

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